Je n'ai pas la moindre idée de ce que je fais là, ni même de pourquoi j'ai accepté de venir au cinéma ce soir, avec lui. Je suis mort de trac, encore plus quand je me remémore notre échange de textos d'hier soir et son envie folle de m'embrasser. Je grimace rien que d'y penser et referme mon manteau sur moi comme pour me protéger de quelque chose que je redoute, la vérité, c'est que je ne saurais absolument pas comment gérer ça. Le tenir à l'écart serait encore resté la meilleure solution à bien des égards mais je suis seul ici et son acharnement pour intégrer la liste de mes amis devait bien finir par me faire céder un jour. Je regarde ma montre, je suis en avance comme toujours. J'ai racheté une écharpe, j'espère qu'il ne s'avisera pas de me voler celle là non plus. J'essaye de penser à autre chose mais le trac m'en empêche et je ne parviens pas à me vider l'esprit. C'est vrai que je suis drôlement perturbé pour quelqu'un qui s'en fiche, et l'idée m'angoisse encore plus. J'ai senti, subi, la réaction de mon corps lorsqu'il a déposé sa main sur ma cuisse l'autre jour dans l'amphithéâtre. J'ai essayé de me convaincre que ça n'était pas de ma faute, rien d'autre qu'une réaction normale. Et puis la semaine sans nouvelle m'a laissé un goût amer dans la bouche et force est désormais de constater que quelque chose le lie à moi que je ne parviens pas à définir. Son harcèlement me fatigue, son absence sans doute encore plus et je n'ai pas la moindre idée de l'origine de cette vérité là. Quand j'ai reçu son message hier, une foule de sentiments s'est bousculé à l'intérieur de mes tripes, mais je ne sais pas lesquels ni comment les interpréter.

Je sursaute en sentant quelqu'un arriver, et me retourne pour découvrir son visage. Je me fige dans l'angoisse de l'attente et écarquille un peu les yeux, incapable d'initiative. Et s'il m'embrassait, là, maintenant ? Je serai obligé de refuser. Les Fitzgerald ne sont pas gays, moi non plus. Je veux bien être son ami mais ça n'ira jamais plus loin, et la réaction de mon corps en amphi n'était liée qu'à la surprise et l'inconnu du geste. Je tousse un peu sans m'approcher pour autant. « Bonsoir Teagan… » J'inspire et me mords la lèvre. « Tu veux aller voir quoi ? »

Après un drôle d’échange de texto, nous avons convenu d’un rendez vous absolument pas galant et d’une tentative d’amitié qui me surprend un peu de sa part. Je dois dire que j’ai tellement l’habitude qu’il m’envoie paître, que le fait qu’il accepte finalement ce cinéma pourvu que je ne l’embrasse pas et que je me tienne correctement, me paraît presque suspect. Si ça se trouve et je fais sans doute bien de me méfier, il m’a juste dit ça pour me planter dans un cinéma tout seul avec un paquet de pop corn. Je soupire et enfile son écharpe que j’arrange comme chaque fois que je sors avec une certaine fierté. Si il me plante, j’aurais au moins vu un film ce soir en profitant d’un tarif réduit. Comme l’a si bien souligné Aindreas, je n’ai pas beaucoup d’argent. Mais tout de même, nous avons des conversations vraiment étranges, quel mec hétéro normal annoncera à un type qu’il a jamais embrassé personne ? Peut être qu’il viendra ce soir finalement. Je compte d’ailleurs respecter sa volonté, ce n’est pas parce que j’ai perdu ma virginité avec le grand frère de ma petite copine il y a de cela quelques années, que je ne peux pas comprendre qu’il désire s’offrir quelque chose de mieux après tout.

Je m’approche du cinéma et constate qu’il est là. Un sourire s’affiche alors malgré moi au coin de mes lèvres. Je m’avance et lui tend une main, dans une volonté un peu maladroite de me montrer correct et bien élevé. Il me salue et me demande ce que je veux voir. Je hausse les épaules je n’ai aucune idée de ce qu’il passe en ce moment « Promis je serai sage, choisis ce que tu préfères, je ne sais pas ce qui passe en ce moment. » Je joue avec son/mon écharpe et inspecte l’affiche.

Il me tend sa main que je serre sans trop d'empressement, puis m'assure qu'il sera sage.J'aurais préféré qu'il s'abstienne dès le départ de tout commentaire qui pouvait sous entendre que quoi que ce soit était susceptible de se passer mais puisque visiblement ça n'est pas possible je m'épargne au moins le débat en ne relevant pas, me concentrant sur la dernière partie de sa phrase. « Ils passent un film d'un réalisateur irlandais en ce moment, j'aimerai bien voir ça. Ou alors James Bond si tu préfères ? » Je fronce le nez, mal à l'aise. On ne va pas franchement au cinéma avec un de ses amis d'habitude, si ? Je grimace et hausse une épaule, sortant mon portefeuille pour payer ma place. « Je ne sais pas trop non plus... »

L'avantage du cinéma étant qu'il n'est pas nécessaire de faire la conversation. J'essaye de rester immobile mais une tension étrange m'habite pendant toute la durée du film sur laquelle je ne parviens pas à mettre des explications. Je reste enfoncé dans mon siège, tentant d'apprécier un mélodrame mal joué et franchement mauvais que je l'ai moi même incité à venir voir, soupirant pour cacher parfois mon impatience. Quand le film s'achève enfin et que nous sortons, j'enfile mon manteau en soupirant un peu, fatigué. « Désolé, je ne pensais pas que c'était aussi nul... » Je grimace et me frotte un peu les yeux, remettant ma propre écharpe sans pouvoir m'empêcher de fixe celle qu'il a autour du cou. Je ne sais pas quoi dire et mon rythme cardiaque augmente légèrement sous la pression, tandis que je m'extirpe des rangs du cinéma pour sortir, fourrant mes mains dans mes poches. « Bon... », je lance, une fois dehors, hésitant.

Nous optons pour un film qui m’inspire moyennement confiance, mais je veux avant tout me montrer agréable et laisser mon crush de l’année choisir. Je m’ennuie tellement pendant la projection que l’idée de harceler sexuellement mon voisin me revient de plus belle. Je gesticule sur mon fauteuil en silence m’autorisant seulement deux commentaires sardoniques à voix basse, il faut croire que nous partageons le même avis à propos de ce film. Quand viens l’heure de sortir, je suis le premier à me lever enjambant mon partenaire de soirée une fois, avant d’entrer de nouveau en collision avec lui en voulant passer en même dans ce qui s’avère être une entrée trop petite. Je hausse les épaules, comme pour m’excuser du fait que nos bassins soient plus ou moins entré en collision sans que je n’y sois pour rien. Je tente de modérer les réactions de mon corps pour faire preuve de bonne fois et lorsque nous sortons il lance un « bon » qui veut tout dire. Je crois qu’il m’a assez vu pour aujourd’hui. Je tâte mon cou et remarque que je ne porte plus mon écharpe. « Mon écharpe! » Je m’exclame avant de courir dans le cinéma pour aller la chercher, lui laissant le temps de s’enfuir comme il veut. Je retrouve notre rangée sous les regards des clients qui quittent toujours la salle progressivement et me saisis de ladite écharpe que je dépose autour de mon cou rassuré.

Je prends la direction du dehors ou je trouve Aindreas qui m’a attendu. « Merci de m’avoir attendu, je l’avais oublié sur mon siège. Tu veux qu’on aille boire un verre ? » Je demande aussi innocemment que possible alors que j’ai tellement envie de lui que je pourrais céder n’importe ou et n’importe quand au désir qui incendie le bas de mon ventre. On ne peut pas être ami avec tout le monde visiblement. J’aurais essayé au moins. Je souris comme pour l’inciter à me faire confiance, ce qui est un traquenard évident dans l’état actuel des choses, bien que je veuille tout faire pour honorer ma promesse, l’alcool et moi ça fait deux.

Mais au moment même où je m'apprête à dire qu'il serait peut être raisonnable de rentrer, il s'exclame quelque chose à propos de son écharpe. Je fronce le nez et le fixe tandis que lui se met à courir pour regagner l'intérieur du cinéma, visiblement pressé par une urgence. Je ne comprends ce que cette écharpe lui apporte tant pour qu'il se refuse même à l'abandonner ou à l'oublier. J'attends dehors, me tordant les mains, agité d'une drôle de sensation que je ne m'explique pas. Pourquoi ? Mon téléphone vibre dans la poche intérieur de ma veste et je décroche avec lassitude en voyant le nom de mon interlocuteur. « Maman ? » Je soupire un peu et entend un éclat de rire à l'autre bout du fil. « Aindreas mon chéri, comment ça se passe, Derry ? » Je me crispe un peu et guette la sortie du cinéma pour le voir revenir, au cas où, ne sachant trop pourquoi, je préfèrerai qu'il n'assiste pas à la cérémonie du coup de fil de ma mère. L'avoir, elle qui est restée à Oxford, me serre étrangement la gorge et mes propres propos s'étouffent un peu. « Très très bien, Maman, je te rappelle demain, là je suis occupé... » Elle glousse et s'intéresse un peu, ne voulant pas lâcher le morceau : « Tu as rencontré des gens ? » Je soupire et détourne les yeux un instant, regardant le ciel. Je veux tellement rentrer. « Oui, je te rappelle. A demain ». Je raccroche juste au moment où il revient et m'arme d'un sourire que je sais parfaitement feindre.

Je le regarde revenir en rangeant mon portable et me mords la lèvre. « De rien, je ne savais pas que tu y tenais autant... » Je plisse le front en regardant mon écharpe autour de son cou, me perdant un instant dans mes pensées. « Euh... » Je soupire, la raison voudrait que je rentre tout de suite chez moi pour me coucher et me lever demain pour travailler, mais mon coeur se serre étrangement à l'idée, nostalgique. J'hausse une épaule. « Pas longtemps alors, je dois travailler demain matin... » J'acquiesce et attends qu'il prenne les devants de notre destination.

On parle de mon écharpe, et assez naturellement que j’en caresse le tissu avec un sourire. Peut être qu’il avait raison après tout, on ne m’a jamais fait de cadeaux aussi beau. Ceci explique cela. Il se mord la lèvre et je l’imite dans un reflexe que je ne maîtrise pas. Tout semble alors entre nous tout à fait bizarre, ce à quoi je ne m’attends pas. C’est vrai que j’ai très envie de lui depuis le début, je ne vais pas m’en cacher, et il m’envoie suffisamment chier pour que je sache que c’est pas du tout dans ses projets, mais quelque chose nous rapproche. C’est comme si je pouvais le comprendre sans avoir jamais vraiment eu besoin de le connaître plus que ça. A notre manière, nous sommes tous les deux tellement seuls, que notre ébauche d’amitié en paraît sans doute sincère. « C’est le seul cadeau de qualité qu’on m’ait fait... » Je souris pour lui faire comprendre que je ne lui en veux pas d’avoir fait cette remarque, mais qu’il avait en tout état de cause, raison. Lorsqu’on aborde l’idée d’aller dans un bar, il commence par se montrer sceptique avant de finalement accepter.

« Okay, pas de soucis, j’ai les mêmes cours que toi, et je suis moins sérieux en plus, je suis vraiment en retard sur ma dissertation. » Je lui fais signe de me suivre, et nous dirige vers un pub irlandais ou je m’installe au bar commandant une bière. « Tu prendras quoi ? » Je le questionne et en entendant Aindreas me répondre un client semble remarquer son accent anglais. Il claque son verre contre la table et s’adresse au patron du bar. « Tu vas quand même pas servir ces connards d’anglais ? » Il se retourne brusquement vers Aindreas et crache. « On veut pas de vous ici, dégage avant que j'menerve. » Il se lève, titubant un peu surplombant Aindreas de toute sa hauteur.

Il m’entraîne vers un pub que bien évidemment je ne connais pas, je ne suis jamais sorti ici, quel intérêt tout seul ? Je le suis sans rien dire, plongé dans mes pensées plus qu'apte à faire une conversation. Je caresse doucement ma propre écharpe du bout des doigts, songeur, me demandant ce que je fais ici finalement. Nous arrivons finalement dans un bar qu'il semble apprécier et je m'installe à la table où il m'emmène sans faire trop de difficultés. Teagan me demande ce que je veux boire et après un rapide coup d'oeil à la carte, je lui demande la même chose que ce qu'il prendra. Mais de l'agitation se fait soudainement entendre et une bande d'irlandais s'esclaffe et refuse que l'on me serve. Je fronce le nez, et écarquille les yeux mais je n'ai même pas le temps de bouger ou de répliquer quoi que ce soit qu'un type gigantesque et ostensiblement bourré se lève pour me faire face, me sommant de dégager. « Mais... » Je fronce le nez, et recule de quelques pas pour éviter à toute tentation qu'il aurait de m'en coller une. « Vous ne comprenez pas, je... je suis né en Irlande mon père est Irlandais... » Il n'a pas l'air d'avoir vraiment envie de m'écouter cependant.

Sa main attrape plutôt le col de ma chemise et je sursaute en sentant mon dos rencontrer le mur avec une hargne que je n'aurais pas mis tout seul. Je ne me suis jamais battu avec personne, surement pas avec une armoire à glace de 120 kg avec 15 grammes dans le sang, et mes espoirs me semblent faibles. « S'il vous plait... » Je secoue la tête et porte mes mains devant mon visage en attendant le coup qu'il va sans doute me porter, pour me protéger. Je cherche un point ou regarder, quelqu'un pour me venir en aide, et le temps s'étale en longueur et j'ai l'impression que je vais mourir. Sa main se resserre autour de mon col et je tremble un peu, le silence semble s'être installé dans l'attente de la douleur ou de je ne sais quoi.

Je n’ai pas vraiment le temps de réagir que le type en question se saisit du col de mon ami pour tenter de le faire fuir. Aindreas est dans tous ses états, et je repousse ma bière pour tenter d’intervenir. Je n’ai pas vraiment plus de force que ce type, mais j’ai l’avantage d’être grand. Je l’éloigne autant que faire se peut et m’exclame après m’être interposé. « Laisse le, c’est un gamin, il a à peine dix huit ans comme moi, il vient d’Oxford et alors ? Les anglais nous ont massacré alors on doit leur rendre la pareille ? Il est temps de changer, on vient ici pour une raison, pour la paix, et j’ai le droit d’emmener mon petit ami prendre un verre sans qu’il se fasse agresser. » Je hausse les épaules. Je n’ai pas pu m’empêcher de préciser qu’il s’agissait de mon petit ami, peut être pour mener au bout ma démonstration, en montrant qu’on peut finalement s’aimer même en étant issus de deux nations ennemies. Il y a quelques semaines encore, j’étais le premier à tourner en ridicule si possible les anglais qui croisaient ma route et me voilà à faire des discours sur la paix. Le patron du bar me regarde l’air las. « Tu as de bien mauvaises fréquentations petit. » J’attrape le bras d’Aindreas et l’attire à l’extérieur coupable.

Je me laisse tomber au sol dos au mur. Voilà que j’ai encore merdé. Mon regard heurte le sien et je prends une inspiration. « Je suis tellement désolé, j’aurais du y penser, c’était stupide de ma part, j’ai tout foutu en l’air. Je voulais vraiment qu’on soit amis, qu’on boive un verre tous les deux. » Et finalement ça n’arrivera même pas. « Tu peux venir le prendre chez moi si tu veux, même si je doute que tu en aies encore envie pour le coup. » Je replace mon écharpe correctement et joue avec nerveusement.

Mais rien ne vient, et pour cause ; Teagan intervient, tentant avec succès de calmer l'acharné en l'écartant de moi. Je remets mon manteau en place, tremblant, lui reste entre le type et moi et s'atèle à changer sa vision des choses. Mon coeur bat la chamade et mon esprit refuse de se concentrer, la peur habite chacun de mes muscles et je crois mourir de chaud. Mon esprit accroche le mot qu'il utilise pour me qualifier et j'hausse un sourcil curieux en regardant le patron du bar lui reprocher ses fréquentations. Petit ami ? Je me plie en deux et inspire pour essayer de reprendre mes esprits mais nous n'avons plus le droit de séjour ici. Il m'entraine à l'intérieur et nous faisons quelques pas à peine qu'il se laisse glisser contre le mur d'une ruelle jusqu'au sol. Je tremble et mes yeux s'humidifient tandis que lui s'excuse. Je me laisse tomber à genoux devant lui, en proie à une crise de doute délibérée qui me bouffe les entrailles. Les gens ne veulent pas de moi ici, les gens détestent les anglais, et je ne me ferai jamais à la masse. Je me sens tellement seul et lui, lui il était là avec juste son courage et cette espèce d'affection étrange et injustifiée qu'il me porte pour prendre ma défense contre un sale type bourré. Je baisse les yeux et joue un instant avec mes mains, puis bouge un peu pour m'asseoir contre le mur à mon tour, à côté de lui.

Je frissonne et ferme les yeux pour chasser les larmes qui veulent s'en écouler. Je ne sais pas ce que mon rythme cardiaque a au juste mais il est insupportablement élevé. Je tremble toujours et dans un geste presque machinal, dicté par une force supérieure dont je ne réponds pas, ma main chercher la sienne avec pudeur. Je pose ma tête contre son épaule et me mords la lèvre, j'ai tellement besoin qu'on m'apprécie, juste un peu, pourquoi personne n'en semble capable ici ? Je n'ai pourtant rien fait de si terrible ? « Merci... » Je n'écoute pas le reste, juste cette voix dans ma tête qui me répète en boucle ce qu'il vient de faire pour moi. Il faut que je fasse quelque chose pour lui, maintenant. Petit-ami. Je tremble de nouveau et ma main libre soulève son menton pour ramener sa tête vers moi. Maladroit, mal assuré, j'attends qu'il me fasse face et pose juste mes lèvres sur les siennes un instant, sans rouvrir les yeux. L'adrénaline fait battre mon coeur plus rapidement et s'y joint la peur qui m'habite désormais les entrailles.

Il se laisse tomber à côté de moi, et je ne dis rien de plus. Il n’y aurait pas grand chose à dire de cela de toute façon. Pour une première fois qu’on sort ensemble en tant qu’amis, j’ai finalement fait l’erreur du siècle en emmenant un anglais dans un pub un peu trop nationaliste. Je crois que je vois fatalement le meilleur dans les gens, et la vie s’avère pas aussi simple que j’aimerai qu’elle soit. J’aurais pourtant toutes les raisons de ravaler mon optimisme vu le quotidien que je mène, mais c’est décidément quelque chose de trop ancré dans ma personnalité. Aindreas lui, bouge un peu et bientôt sa main vient rejoindre timidement la mienne. Surpris par une telle initiative et à la fois incapable de réagir, je la presse un peu pour lui témoigner mon soutien silencieux alors qu’il semble mûrir une décision que je ne vois pas venir. Il me remercie vaguement et son autre main relève mon menton tandis que ses lèvres s’approchent un peu trop dangereusement des miennes. Mon rythme cardiaque connaît une légère accélération et ses lèvres se posent finalement sur les miennes. Je frissonne un peu et ferme les yeux levant le voile sur le mystère qui entoure ce fameux baiser depuis déjà quelques jours. Cela devait arriver, incontestablement, mais je n’aurais jamais pensé que ce soit de son fait.

Je goûte ses lèvres d’abord prudemment, puis me laisse tragiquement emporter par l’envie qui s’installe progressivement en moi, ravageuse. Incapable de me contrôler, je donne au baiser une ampleur qui me dépasse sublimée par une alchimie parfaite, et impossible à définir. Ma langue vient alors se mêler à la sienne et ma main libre elle, gagne sa nuque. Je l’attire à moi dans un besoin clair de l’avoir plus proche, avant d’être durement rappelé à la réalité par le manque d’air. Nous nous séparons et je le repousse doucement avant de me lever, replaçant correctement mon écharpe. « Je suis désolé Aindreas, vraiment désolé. » Je bredouille et prend la fuite sans crier gare, j’ai vraiment pas su tenir mes bonnes résolution ce soir.

Il semble d'abord un peu hésitant et mon coeur connait quelques ratés tandis que ma conscience essaye, pour sa part, de se manifester à moi avec une ardeur rare. Pourtant, il ne me laisse pas le temps de redevenir raisonnable, réalisant finalement ce qui est en train de se passer. Nos lèvres restent ainsi un moment, scellées dans un silence étrange qui me laisse largement à loisir d'entendre les battements de mon coeur dans ma cage thoracique. Il prend en charge le reste des opérations et ses lèvres se font plus aventureuses, plus pressantes, plus expertes sans aucun doute. Sa langue trouve la mienne et sa main glisse sur ma nuque. Je ferme les yeux, traversé par un milliard de ressentis tout à la fois, incapable de comprendre ce que je ressens ou même ce qu'il est en train de m'arriver. J'ai beau être assis, j'ai l'impression de perdre l'équilibre, et je m'agrippe machinalement à son manteau. Je n'ai jamais embrassé personne et j'étais loin d'imaginer que cela pourrait être aussi... intense ?

Je le garde contre moi, sentant presque son coeur battre aussi, puis le manque d'air force la séparation et le retour à la réalité, à l'erreur, au choc et à la réalisation. Il se redresse bien rapidement, s'excuse mais sa voix est lointaine. Je regarde mes mains qui tremblent devant mes yeux humides, et mon corps qui appelle le sien pour de plus étendues largesses, et je frissonne encore et toujours alors que mon cerveau se joue de moi, me défilant les images en boucle. Je ne sais pas quoi dire, j'ai embrassé un homme et les sentiments qui encore me laissent pantelant sont significatifs du plaisir que je viens d'en tirer. Déboussolé, désaxé, je lui jette un regard suppliant que ses excuses ont déjà balayé. Pourquoi s'excuse-t-il déjà ? Je ne sais pas, dans mon souvenir j'ai posé mes lèvres sur les siennes d'abord. Je le regarde remettre en place l'écharpe qui était autrefois la mienne, la notre, la sienne, puis prendre la fuite, et je sens le sol se dérober sous mon corps que je ne parviens pas à retenir. Je supplie mais il est trop tard, déjà trop tard, il est loin. « Non... Reviens ? »