Je n’avais pas eu le temps de retirer mes habits de travail que déjà mes potes étaient venus me chambrer sur ma vie trop droite ces derniers temps. Il fallait dire que je les avais un peu délaissés, trop occupés à me charger des demoiselles en détresse. Incapable de résister, j’étais surtout conscient que ça ne servait à rien face à eux. Je m’étais rapidement changé avant de les suivre docilement. Avec eux, c’était toujours la surenchère dans la foire aux emmerdes. A croire que quand on était un bon irlandais, on était capable d’attirer que ça, les emmerdes. On n’attirait même pas les belles nanas, ou pas souvent en tout cas. Contrairement à nos habitudes, ça n’est pas le pub qui fut notre direction première. C’est quand on se retrouva devant l’université que je me demandais ce qu’on faisait là. Comme seule réponse on m’offrit une canette de bière et une cigarette. Alors, comme tous les autres, je me mis à boire et fumer pendant que le ciel commençait à s’assombrir. La nuit commençait à tisser sa toile obscure sur la ville alors que les cours se terminaient les uns après les autres. Des gens passaient, des étudiants allaient et venaient selon les heures. Avec le temps, je compris quelle était la règle de notre nouveau petit jeu : à chaque anglais qui passait, un gars de la bande allait le chambrer. Je devais avouer que c’était amusant, de regarder ces anglais qui se croyaient tout permis, ces gens qui étaient venu ici, jusqu’à Derry et qui pensaient venir en terre conquise, se faire remettre à leur place. Ils n’y comprenaient rien, ils ne savaient pas ce que ça faisait d’être né dans cette ville et d’avoir le sang de nos ainés constamment sur la conscience.
Après avoir surement trop bu et trop fumé, je pensais à rentrer, il fallait dire qu’on venait de finir une bouteille de vodka. Mes potes riaient trop fort et je fumais clopes sur clopes sans en ressentir ne serait-ce que le goût. C’est alors qu’un troupeau d’étudiants commença à s’extirper des salles de classes. Il devait être dix-huit heures ou plus tard, je ne savais plus depuis combien j’étais là. Le campus était sombre, le ciel aussi. Me remettant sur mes pieds, je m’apprêtais à saluer mes amis et à trouver une excuse bidon pour m’arracher à leur compagnie lorsque l’un d’eux me tendit une bière en disant : « Y a l’hystérique de la dernière fois, Junior, à toi de jouer ! » J’attrapais la canette de mauvais gré tout en marmonnant des choses incompréhensibles tentant de me plaindre de ce surnom que seul ma grand-mère avait le droit d'utiliser. Je m’approchais de Robin en trainant les pieds sous les rires gras et irritant de mes comparses. Pour me donner un peu de courage, je buvais ma canette avant de m’allumer une énième clope que je ne sentais même pas encrasser mes poumons avant de m’attaquer à la malheureuse qui marchait au côté de Robin. « Bonjour mademoiselle, j’espère que vous vous plaisez dans notre belle université de Derry. Maintenant si vous pouviez dégager de notre magnifique territoire irlandais et retourner massacrer des innocents ailleurs ça serait cool. » Me faisant dévisager par la blondasse à qui je venais d’adresser la parole. Je la suivais sans lâcher prise, assurant le spectacle aux quelques poivrots avec lequel je m’enfonçais dans mes travers. « Sinon avec tes seins refaits et ta coiffe décoloré, tu pourrais aussi aller dans un bordel, histoire de retrouver les tiens… Irlande vingt, Angleterre zéro. »
C’est en fanfaronnant comme un con que je retournais auprès de mes potes qui riaient aussi bêtement que moi. Aucun ne semblait avoir prêté attention à mon erreur quant à la cible. Sans offrir d’excuse à mes amis, j’attrapais mon sac avant de me mettre à courir dans la direction qu’avait prise Robin. Arrivant à sa hauteur, j’étouffais un juron après m’être brulé avec ma clope. Me raclant la gorge, je tachais d’avoir l’air plus sobre que je ne l’étais, plus sérieux et sincère aussi. « Désolé pour ce qui vient de se passer, c’est juste que… » On est une bande d’irlandais complètement débile qui s’amuse à s’attaquer aux anglais qui n’ont rien demandé ? Je n’étais pas certain que ça soit la chose à dire pour le coup. « Tu sais bien… c’est pas facile à expliquer. » Passant une main dans mes cheveux, j’aperçu la blonde que je venais d’agresser verbalement en train de pleurnicher près de ses amies, j’étais plus sur que ça me fasse vraiment rire.