◭ Dix avril mille neuf cent quatre vingt-sept, Malin Beg, Irlande.

" Tu as entendu, il est temps de partir, il ne risque rien ici. " J'étais convaincu qu'il me mentait, comment pouvait-il ne serait-ce qu'affirmer qu'il ne risquait rien, il risquait beaucoup. Je n'avais aucune confiance en Sofia, elle avait beau être de la famille depuis des années, depuis la naissance d'Eymris pour tout dire, je ne pouvais avoir une foi aveugle en cette femme. " Je n'aime pas l'idée de le laisser avec elle, et tu le sais, je n'ai jamais réussi à croire son histoire... " Je savais mon époux incapable de me comprendre, pour lui Sofia était la fille d'un vieille ami, elle était la douce jeune femme débarquée de Russie après la mort de son père, elle ne voulait que s'intégrer selon ses propres mots, ne pas être seule également dans un pays qu'elle ne connaissait guère. Pourtant jamais elle n'avait dit mot sur sa famille, son pays, sa vie avant qu'elle n'arrive et cela me troublait, ne ressentait-elle aucun besoin de se confier, de garder en elle une partie de ses origines, comment pouvait-elle renier ce qu'elle était si facilement ?! Mes doutes, j'étais la seule à les comprendre. " Vivyan, arrête un peu, elle s'est toujours très bien occupée du petit, alors partons maintenant et n'en dis plus un mot. " Je voyais son regard sur moi, un regard qui se voulait doux mais qui était emprunt d’inquiétude. Comment l'en blâmer.

Citation :

Eymris,

ces mots, je l'espère, pourront t'éclairer lorsque tu seras en âge de comprendre notre histoire. Je n'ai pas été une très bonne mère pour toi, je fus parti sans doute avant même que tu n'ai pu te faire de véritables souvenirs. Je ne souhaitais pas cette vie pour toi, mais je sais que ton père a fait tout ce qu'il pouvait pour ton bonheur. Cela n'a pourtant pas du être simple, tu as du entendre toutes sortes de rumeurs à mon sujet, alors aujourd'hui je vais rétablir la vérité pour toi. Peu après ta naissance, les médecins ont découverts que je souffrais de ce que l'on appelle la schizophrénie. Pour toi cela n'est sans doute qu'un mot incompréhensible, pour être plus clair disons que je n'étais plus en mesure de m'occuper de toi, ni même de qui que ce soit. La maladie est une chose que j'ai accepté, j'espère simplement que ma faiblesse ne t'aura pas rendu la vie trop difficile. Sache que malgré mon départ je n'ai jamais cessé de t'aimer, tu es et reste la plus belle chose dans ma vie.

Je t'aime, maman.

◭ Huit mars mille neuf cent quatre-vingt dix sept, Malin Beg, Irlande.

" Eyms, descends de la immédiatement, si ton père te voit... " Je n'écoutais pas ce qu'elle me disait, je continuais de grimper comme si je fuyais quelque chose. D'aussi loin que je m'en souvienne j'avais toujours été plutôt en marje, les enfants de mon âge avaient tendance à jouer avec des petites voitures, de billes ou autre, moi je passais mon temps cloitré dans ma chambre avec des bouquins ou simplement dehors à grimper partout ou je le pouvais. J'avais besoin d'une liberté que personne ne pouvait assouvir. Ma mère était comme cela elle aussi selon mon père, elle était toujours plongée dans un bouquin, vivant l'histoire qu'elle lisait ou à l'extérieur, faisant des balades qui l'emmenaient toujours plus loin. Ma ressemblance avec elle était flagrante, elle me réjouissait, je me sentais proche d'elle grâce à cela, mais je savais également que mon père la voyait en moi, et que cela lui faisait beaucoup de mal. " Eymris ! Je ne vais pas le répéter ! " Je me retournais finalement, tournant le dos à l'ocean, regardant Sofia qui se tenait en bas de ce petit bout de falaise, le regard noir, les mains encrées sur ses hanches. Je souriais, fermant les yeux quelques secondes, imaginant ce que cela serait si ma mère était là elle aussi, si elle pouvait sentir l'odeur de la marée, entendre le fracas des vagues sur les rochers en contre bas. Elle ne serait jamais là pourtant, une réalité que j'avais fini par accepter à la lecture de cette fameuse lettre.